Le code secret

Le petit Nicolas et les copains. Goscinny / Sempé. 1190 mots.

 

Vous avez remarqué que quand on veut parler avec les copains en classe, c'est difficile et on est tout le temps dérangé ? Bien sûr, vous pouvez parler avec le copain qui est assis à côté de vous ; mais même si vous essayez de parler tout bas, la maîtresse vous entend et elle vous dit : " Puisque vous avez tellement envie de parler, venez au tableau, nous verrons si vous êtes toujours aussi bavard !" et elle vous demande les départements avec leurs chefs-lieux, et ça fait des histoires. On peut aussi envoyer des bouts de papier où on écrit ce qu'on a envie de dire ; mais là aussi, presque toujours, la maîtresse voit passer le papier et il faut le lui apporter sur son bureau, et puis après le porter chez le directeur, et comme il y a écrit dessus "Rufus est bête, faites passer" ou "Eudes est laid, faites passer", le directeur vous dit que vous deviendrez un ignorant, que vous finirez au bagne, que ça fera beaucoup de peine à vos parents qui se saignent aux quatre veines pour que vous soyez bien élevé. Et il vous met en retenue !

 

C'est pour ça qu'à la première récré, ce matin, on a trouvé terrible l'idée de Geoffroy.

- J'ai inventé un code formidable, il nous a dit Geoffroy. C'est un code secret que nous serons seuls à comprendre, ceux de la bande.

 

Et il nous a montré ; pour chaque lettre, on fait un geste.

Par exemple : le doigt sur le nez, c'est la lettre "a", le doigt sur l'oeil gauche, c'est "b", le doigt sur l'oeil droit, c'est "c". Il y a des gestes différents pour toutes les lettres : on se gratte l'oreille, on se gratte le menton, on se donne des tapes sur la tête, comme ça jusqu'à "z" où on louche. Terrible !

Clotaire, il n'est pas tellement d'accord ; il nous a dit que pour lui, l'alphabet c'est déjà un code secret et que, plutôt que d'apprendre l'orthographe pour parler avec les copains, il préférait attendre la récré pour nous dire ce qu'il avait à nous dire. Agnan, lui, bien sûr, il ne veut rien savoir du code secret. Comme c'est le premier et le chouchou, en classe, il préfère écouter la maîtresse et se faire interroger. Il est fou, Agnan !

Mais tous les autres, on trouvait que le code était très bien. Et puis, un code secret, c'est très utile ; quand on est en train de se battre avec des ennemis, on peut se dire des tas de choses, et eux ils ne comprennent pas, et les vainqueurs, c'est nous.

Alors, on a demandé à Geoffroy de nous l'apprendre, son code. On s'est tous mis autour de Geoffroy et il nous a dit de faire comme lui ; il a touché son nez avec son doigt et nous avons touché nos nez avec nos doigts ; il s'est mis un doigt sur l'oeil et nous nous sommes tous mis un doigt sur l'oeil. c'est quand nous louchions tous que Monsieur Mouchabière est venu. Monsieur Mouchabière est un nouveau surveillant, qui est un peu plus vieux que les grands, mais pas tellement plus, et il paraît que c'est la première fois qu'il fait surveillant dans une école.

- Ecoutez, nous a dit Monsieur Mouchabière. je ne commettrai pas la folie de vous demander ce que vous manigancez avec vos grimaces. Tout ce que je vous dis, c'est que si vous continuez, je vous colle tous en retenue jeudi. Compris ?

Et il est parti.

- Bon, a dit Geoffroy, vous vous en souviendrez du code ?

- Moi, ce qui me gêne, a dit Joachim, c'est le coup de l'oeil droit et de l'oeil gauche, pour "b" et "c". Je me trompe toujours avec la droite et la gauche ; c'est comme maman quand elle conduit l'auto de papa.

- Ben, ça fait rein, a dit Geoffroy.

- Comment ! ça fait rien ? a dit Joachim. Si je veux dire "Imbécile" et je te dis "Imcébile", c'est pas la même chose.

- A qui tu veux dire "Imbécile", imbécile ? a demandé Geoffroy.

Mais ils n'ont pas eu le temps de se battre, parce que Monsieur Mouchabière a sonné la fin de la récré. Elles deviennent de plus en plus courtes, les récrés, avec Monsieur Mouchabière.

On s'est mis en rang et Geoffroy nous a dit :

- En classe, je vais vous faire un message, et à la prochaine récré, on verra ceux qui ont compris. Je vous préviens : pour faire partie de la bande, il faudra connaître le code secret !

- Ah ! bravo, a dit Clotaire ; alors, Monsieur a décidé que si je ne connais pas son code qui ne sert à rien, je ne fais plus partie de la bande ! Bravo !

Alors, Monsieur Mouchabière a dit à Clotaire :

- Vous me conjuguerez le verbe "Je ne dois pas parler dans les rangs, surtout quand j'ai eu le temps pendant toute la récréation pour raconter des choses niaises". A l'indicatif et au subjonctif.

- Si t'avais utilisé le code secret, t'aurais pas été puni, a dit Alceste, et Monsieur Mouchabière lui a donné le même verbe à conjuguer. Alceste, il nous fera toujours rigoler !

En classe, la maîtresse nous a dit de sortir nos cahiers et de recopier les problèmes qu'elle allait écrire au tableau, pour que nous les fassions à la maison. Moi, ça m'a bien embêté, ça, surtout pour Papa, parce que quand il revient du bureau, il est fatigué et il n'a pas tellement envie de faire des devoirs d'arithmétique. Et puis, pendant que la maîtresse écrivait sur le tableau, on s'est tous tournés vers Geoffroy, et on a attendu qu'il commence son message. Alors, Geoffroy s'est mis à faire des gestes ; et je dois dire que ce n'était pas facile de le comprendre, parce qu'il allait vite, et puis il s'arrêtait pour écrire dans son cahier, et puis comme on le regardait, il se mettait à faire des gestes, et il était rigolo, là, à se mettre les doigts dans les oreilles et à se donner des tapes sur la tête.

 

Il était drôlement long le message de Geoffroy, et c'était embêtant, parce qu'on ne pouvait pas recopier les problèmes, nous. C'est vrai, on avait peur de rater des lettres du message et de ne plus rien comprendre ; alors, on était obligé de regarder tout le temps Geoffroy, qui est assis derrière au fond de la classe.

Et puis Geoffroy a fait "i" en se grattant la tête, "t" en tirant la langue, il a ouvert des grands yeux, il s'est arrêté, on s'est tous retournés et on a vu que la maîtresse n'écrivait plus et qu'elle regardait Geoffroy.

- Oui, Geoffroy, a dit la maîtresse. Je suis comme vos camarades : je vous regarde faire vos pitreries. Mais ça a assez duré, n'est-ce pas ? Alors, vous allez au piquet, vous serez privé de récréation et, pour demain, vous écrirez cent fois "Je ne dois pas faire le clown en classe et dissiper mes camarades, en les empêchant de travailler".

 

Nous, on n'avait rien compris au message. Alors, à la sortie de l'école, on a attendu Geoffroy, et quand il est arrivé, on a vu qu'il était drôlement fâché.

- Qu'est-ce que tu nous disais, en classe ? j'ai demandé.

- Laissez-moi tranquille ! a crié Geoffroy. Et puis, le code secret, c'est fini ! D'ailleurs, je ne vous parle plus, alors !

C'est le lendemain que Geoffroy nous a expliqué son message. Il nous avait dit :

"Ne me regardez pas comme ça ; vous allez me faire prendre par la maîtresse."

 

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