Le monstre poilu

Henriette Bichonnier et Pef - FOLIO BENJAMIN

 

Au milieu d'une sombre forêt, dans une caverne humide et grise, vivait un monstre poilu. Il était laid ; il avait une tête énorme, directement posée sur deux petits pieds ridicules, ce qui l'empêchait de courir. Il ne pouvait donc pas quitter sa caverne. Il avait aussi une grande bouche, deux petits yeux glauques, et deux longs bras minces qui partaient de ses oreilles et qui lui permettaient d'attraper les souris.

Le monstre avait des poils partout : au nez, aux pieds, au dos, aux dents, aux yeux, et ailleurs.

Ce monstre-là rêvait de manger les gens. Tous les jours, il se postait sur le seuil de sa caverne et disait, avec des ricanements sinistres :

- Le premier qui passe, je le mange.

Mais jamais les gens ne passaient par là, car la forêt était bien trop profonde et bien trop sombre. Et comme le monstre ne pouvait pas courir, à cause de ses petits pieds ridicules, il n'attrapait jamais personne. Pourtant, avec patience, il continuait à attendre et à se dire :

- Le premier qui passe, je le mange.

 

 

Un jour, un roi chassait dans la forêt, et il se perdit entre les arbres. Il s'approcha par mégarde de la caverne du monstre poilu. Deux longs bras surgirent d'un coin sombre pour attraper le roi.

- Ha ! s'écria la vilaine bête, enfin quelque chose de meilleur à manger que les souris.

Et le monstre ouvrit une large bouche.

- Arrête ! arrête ! s'écria le roi, je connais quelque chose de bien meilleur que moi à manger.

- Et quoi ? demanda le monstre.

- Des enfants bien tendres, dit le roi.

- Ah ? dit le monstre.

Alors, il attacha une grande ficelle à la jambe du roi et dit qu'il voulait bien le laisser partir s'il pouvait lui ramener un enfant à manger. Le roi promit qu'il reviendrait avec le premier gamin qu'il rencontrerait.

- Attention, ajouta le monstre poilu, si tu essaies de me tromper, je tire sur la ficelle et je te ramène ici. Compris ?

- Compris, dit le roi.

Il monta sur son cheval et galopa jusqu'à l'orée de la forêt. Là, il s'arrêta, sortit une grande paire de ciseaux de sa sacoche et essaya de couper la ficelle qui le rattachait au monstre. Mais il fut bien surpris : la ficelle était impossible à couper.

- Ha ! ha ! ricana le monstre au loin, n'essaie pas de me tromper.

Désolé, le roi se remit en route. Il traversa un village, espérant y rencontrer un gamin. Mais il fut bien déçu : dans les rues, il n'y avait personne, tous les enfants étaient à l'école.

Alors, le roi continua à galoper, avec sa ficelle toujours attachée au pied.

En arrivant près de son château, il vit enfin une fillette qui courait devant lui au milieu du chemin.

- Ah ! se dit-il, voilà tout à fait ce qu'il me faut !

Mais quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il vit, en s'approchant d'elle, que la fillette en question était sa propre fille, la petite Lucile, qui s'était échappée du château pour aller s'acheter des malabars.

Furieux, le roi gronda :

- Je t'avais interdit de manger des malabars ! Et je t'avais aussi interdit de sortir du château. Ah ! si tu savais ...

Et il raconta la promesse qu'il avait faite au monstre.

A l'autre bout de la ficelle, dans sa caverne humide et grise, le monstre entendait tout grâce à son écouteur.

- Hahahaha ! ricanait-il, pas d'entourloupette ! Je veux cette petite fille tout de suite, sinon ...

Le roi se mit à pleurer et la petite Lucile dut le consoler :

- Ne pleure pas papa, dit-elle, je veux bien aller chez le monstre me faire manger.

- Ah ! Malheureuse, sanglota le père. Hahahaha !

Il fit monter la petite fille sur son cheval et retourna à la caverne, d'où le monstre le guidait en tirant sur la ficelle. Arrivé là, il déposa sa fille en tremblant. Le monstre détacha la ficelle et ordonna au roi de partir tout de suite. Puis il se tourna vers la fillette qui attendait poliment, les mains derrière le dos.

- Haha ! s'écria le monstre, je vais te manger, mon petit lapin.

- Poils aux mains, dit Lucile.

- Quoi ? dit le monstre.

- Je dis : "Poils aux mains", parce que vous avez des poils aux mains, dit Lucile.

(Et c'était tout à fait exact. Le monstre avait bien des poils aux mains, vu qu'il avait des poils partout).

- Ca par exemple ! dit le monstre, petite effrontée !

- Poils au nez, dit Lucile.

Surpris, le monstre dut reconnaître qu'il avait des poils au nez, puisqu'il était poilu partout. Mais comme il était en colère, il menaça la fillette.

- Je vais t'apprendre, moi !

- Poils aux doigts, dit Lucile.

- Tu vas le regretter !

- Poils aux pieds !

- C'est tout de même malheureux ...

- Poils aux yeux !

Attention, je compte : un, deux ...

- Poils aux yeux !

- Trois ...

- Poils aux bras !

- Quatre ...

- Poils aux pattes !

Le monstre, hors de lui, se roulait par terre de colère. C'était d'ailleurs très drôle à voir.

Maintenant, il hurlait :

- Ce ne sont pas des manières de princesse !

- Poils aux fesses !

Le monstre enrageait. La fureur le faisait gonfler, gonfler, gonfler.

 

 

Il enfla tant et tant qu'à la fin il éclata de colère, explosant en petits morceaux qui s'envolèrent dans tous les sens et devinrent des papillons multicolores et des fleurs parfumées.

En dessous, sous la peau du vilain monstre poilu, apparut le petit garçon le plus mignon qu'on eût jamais vu.

- Je suis le prince charmant, poils aux dents, déclara-t-il avec un beau sourire. Tu m'as délivré, poils au nez, d'un mauvais sort, poils au corps, qui me retenait prisonnier, poils aux pieds, depuis des années, poils au nez. Merci, poils au kiki. Tu me plais beaucoup, poils au cou. Veux-tu m'épouser, poils aux pieds, nous serons heureux, poils aux yeux.

 

La petite fille trouva la proposition charmante. Elle accepta tout de suite et les deux enfants s'envolèrent sur le dos d'un papillon géant. A partir de ce jour, jamais plus, jamais plus, on n'entendit parler du monstre poilu.

 Poil final.

 

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