Les dinosaures n'ont pas de nénés

Henriette Bichonnier Messidor/La Farandole

 

Il y a de cela très longtemps, il n'y avait sur la terre que des forêts épaisses et de très grosses bêtes appelées DINOSAURES.

Les grosses bêtes étaient aussi bêtes que méchantes. Elles passaient le temps à se manger le nez, à se mordre la queue, à se tirer les oreilles, à se pincer les pattes. Elles faisaient trembler le sol sous leurs pas. Elles bousculaient les arbres au passage.

Les oiseaux étaient affreux. Bêtes et méchants. Ils faisaient les malins parce qu'ils avaient des dents. Mais leurs ailes ne valaient pas grand-chose. Dès qu'ils s'élançaient pour voler : pan ! Ils se cassaient la figure au sol.

Les poissons n'étaient pas très intéressants non plus. Bêtes et méchants, ils ne savaient pas s'il fallait nager dans l'eau ou marcher sur la terre. Ils essayaient une chose et l'autre. Le plus souvent, ils n'arrivaient à rien, ni d'un côté ni de l'autre.

Pendant ce temps-là, bien sûr, les fleurs n'osaient pas pousser. Il n'y avait ni parents, ni enfants, ni écoles, ni pâtisseries. Le paysage était sinistre. La vie très ennuyeuse. Si ennuyeuse que même les bêtes féroces finirent par s'en apercevoir.

 

Un jour où elles étaient fatiguées de se manger le nez, de se mordre la queue, de se tirer les oreilles et de se pincer les pattes, elles s'arrêtèrent toutes en même temps et s'écrièrent :

- C'est la barbe ici !

Un oiseau qui venait de se casser la figure pour la cinquantième fois voulut donner son avis :

- Je suis bien d'accord, dit-il.

Mais les dinosaures ne lui laissèrent pas le temps de développer son idée. Ils le renvoyèrent à la cime d'un arbre en lui bottant le train.

C'est à ce moment-là qu'une voix pointue déchira leurs oreilles.

- Je ne suis pas de votre avis, cria quelqu'un. Moi je m'amuse beaucoup au contraire.

C'était une toute petite bête avec une face de rat. Un trognon d'animal haut comme trois pomme. Il faisait l'acrobate dans les arbres. Il se balançait sur les branches. Les dinosaures le découvrirent avec stupéfaction. Ils lui demandèrent son nom à tout hasard.

- Je n'en ai pas, répondit la petite bête. Je suis un mammifère, c'est tout.

Et il reprit ses galipettes dans les branches. Les dinosaures ne savaient pas ce qu'il fallait penser.

- Mammifère ? Voyons... Mammifère... Non vraiment, je ne vois pas.

- Mammifère comme MAMAN, Mamelle, Mamie, dit la petite bête.

- Oui ? Et alors ? bredouillèrent les grosses bêtes.

- Et alors rien. J'ai des nénés, C'est tout.

Les dinosaures ne connaissaient pas les nénés. Ils demandèrent à voi. Mais le mammifère refusa. De tout façon, les siens étaient si petits que personne n'aurait pu les voir. Il reprit ses galipettes dans les arbres sans rien montrer du tout.

- Mais les nénés ? demandèrent les dinosaures, c'est amusant les nénés ?

- Il faut croire, répondit la petite bête. Je m'amuse bien moi.

 

Les grosses bêtes ne demandaient rien d'autre que de s'amuser. Mais il aurait fallu avoir des nénés, et personne ne savait comment s'y prendre.

- J'ai une idée, déclara un diplodocus. Faisons la même chose qu'elle.

A son avis, il suffisait de grimper aux arbres et de s'accrocher aux branches. Aussitôt, on obtenait tout ce qui est amusant : des mamelles, des mamans, des mamies, te des nénés aussi.

Le diplodocus prit son élan, s'accrocha à une branche, il se balança. Mais il était trop lourd et la branche cassa. Alors crac, il tomba lourdement sur le sol. Il se brisa le cou. Et il mourut sur le coup.

- Celui-là ne savait pas s'y prendre, gronda le brontosaure. Laissez-moi faire !

Il prit son élan, grimpa sur le tronc de l'arbre. Mais il était trop lourd. Il glissa, il retomba lourdement sur le sol et il se brisa le cou. Il mourut.

- Moi je vais vous montre comment il faut faire, affirma le stégosaure. Regardez-moi bien !

Les autres regardèrent. Il s'élança, glissa, retomba ; et il se cassa le cou comme le diplodocus et le brontosaure. Il mourut. Cela aurait dû servir de leçon. Mais non. Les dinosaures étaient persuadés qu'ils réussiraient mieux que le voisin. Chacun essayait à son tour, chacun mourait à son tour. Et ceux qui restaient continuaient à dire :

- Laissez-moi faire. Moi je sais.

Pendant ce temps, le mammifère continuait ses galipettes en répétant bien haut.

- Moi je me marre. Je me gondole. Je me poile. Je me bidonne. Je me fends la poire. Je suis plié en deux.

Bientôt, il ne resta plus une seule grosse bête sur terre. Les dinosaures avaient disparu.

 

A ce moment-là, le mammifère rameuta sa famille, ses amis, ses cousins de Sicile et ses voisins de palier.

- Vous pouvez venir, criait-il, il y a de la place !

De tous les coins de la forêt, on vit surgir de petites bêtes qui avaient toutes des nénés.

 

Les mammifères s'installèrent tranquillement à la place des dinosaures. Et à partir de ce jour, ils cessèrent de s'accrocher aux branches. Ils commencèrent à s'amuser avec beaucoup de sérieux. Ils s'appelaient papa, maman. Ils eurent des enfants et des maisons. Ils arrangèrent la forêt à leur idée et les fleurs commencèrent à pousser. La première fleur s'appela nénuphar, puis il y en eut d'autres comme les marguerites et les roses. La Terre avait bien meilleure allure. C'était plus gai, plus sympathique, plus récréatif.

Les mammifères inventaient des blagues et se les racontaient.

On était beaucoup mieux qu'au temps des grosses bêtes.

Toutefois, le préposé aux fleurs essaya de faire courir un bruit. Désormais, disait-il, on trouverait les enfants dans des roses. Heureusement, personne ne retint son idée. Les parents avaient autre chose à faire.

 

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