Une histoire du Moyen Age

 

Le comte Henri avait pour sénéchal un homme dur, avare et brutal. Celui-ci éprouvait toujours du dépit lorsque son seigneur faisait du bien à autrui. Pourtant, il ne lui était nullement attaché. Au contraire, le fripon le volait en toute occasion. Il escamotait vin, poulets et canards, dont il s'empiffrait en secret. Mais il n'admettait pas que d'autres profitent des largesses du comte. Il voulait tout pour lui tout seul. Cette mauvaise humeur du sénéchal était parfois à l'origine de scènes divertissantes, surtout quand des étrangers arrivaient au château. Le comte s'en amusait, mais ceux qui en étaient témoins ne riaient pas de si bon coeur. Plus d'un d'entre eux aurait donné cher pour voir le bonhomme corrigé comme il le méritait.

 

Un jour, Henri qui était noble et généreux, annonça qu'il recevrait à sa table tous ceux qui voudraient bien lui faire l'honneur d'être ses hôtes.

 

La réception fut grandiose. Chevaliers, dames, écuyers arrivèrent en grand nombre. Ils trouvèrent partout les portes ouvertes et les tables dressées. La fête fut joyeuse. Seul le sénéchal la boudait.

"Ces bouches affamées, grognait-il, elles viennent ici se gorger à nos frais. Courage, Messieurs, allez-y, ne vous gênez pas ! Mangez en une seule soirée ce que vous n'avez pas mangé en une année !..."

A ce moment, entre un laboureur, crasseux et mal peigné, nommé Raoul, qui vient d'abandonner sa charrue.

- Que viens-tu faire ici, gredin ? demanda le sénéchal en colère.

- He, parbleu ! répondit le paysan, je viens manger. Le comte n'a-t-il pas invité à sa table tous et toutes ?

Il jeta un coup d'oeil alentour et ajouta :

- Je vois que toutes les places sont déjà prises. Messire le sénéchal, ne pouvez-vous pas me trouver un siège qui soit vide ?

L'autre, furieux, lui allonge de toute sa force un coup de pied dans le derrière.

- Tiens, dit-il, je te prête ce siège-là !

ce pendant, il fit signe qu'on donnât au paysan à manger. Il craignait, en effet, que le comte, instruit de sa violence, pût l'accabler de reproches.

Raoul fit bonne mine au mauvais jeu, mais se promit de tirer vengeance de l'affront. Il se retira dans un coin et s'arrangea comme il put.

Après avoir bien bu, bien mangé, il passa dans la grande salle.

Le comte venait d'y faire entrer les violoneux et les jongleurs. Il promit sa belle robe brodée d'or à celui d'entre eux qui divertirait le plus l'assemblée. Aussitôt, chacun essaya de briller aux dépens des autres. L'un imitait un ivrogne, l'autre l'idiot du village, un troisième caquetait comme une poule.

Raoul, debout au milieu de la salle, tenant sa serviette à la main, s'amusait à les regarder et riait tant et plus.

 

Mais quand tout fut fini, il s'approcha du sénéchal, qui se tenait près de comte, et lui lança à son tour au bas du dos un tel coup de pied, qu'il l'envoya s'étendre le nez dans la poussière.

- Messire, dit Raoul en s'adressant au sénéchal, voilà votre serviette et votre siège que je vous rends. Avec les honnêtes gens, rien ne se perd.

La chute du sénéchal avait arraché un cri à l'assemblée. Les domestiques étaient accourus et déjà, il s'apprêtaient à emmener le vilain pour châtier son manque de respect.

Mais le comte les arrêta d'un geste et demanda à Raoul pourquoi il avait frappé son officier.

- Monseigneur, répondit le laboureur, on m'avait dit que, du fait de votre bonté, je pouvais venir au château me régaler des bonnes choses que vous offriez à vos hôtes. Mais je suis arrivé sur le tard, et comme il n'y avait plus de place, j'ai demandé à messire votre sénéchal de m'en donner une. Et lui, qui est fort poli, m'a tout de suite donné un coup de pied, me disant qu'il me prêtait ce siège-là. A présent que j'ai mangé, et que je n'ai plus besoin de son siège, je suis venu le lui rendre.

A ces mots, le comte et tous les spectateurs éclatèrent de rire.

 

Le sénéchal, pendant ce temps, se frottait le derrière, et son air penaud ajoutait encore à la cocasserie de la scène.

Enfin, on rit si fort et si longtemps que le comte accorda sa belle robe à Raoul. Et même les jongleurs durent admettre qu'il l'avait bien méritée.

 

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